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De l'intérêt du mécanisme dans les apprentissages : réponse aux 19

Guy Morel

Parmi toutes les accusations lancées par les opposants aux projets de programmes du primaire, il en est une qui revient comme un refrain, c'est celle de «mécanisme». « Le projet que vous nous présentez est marqué par un alourdissement des contenus, par une conception mécaniste des apprentissages et un affaiblissement de leur dimension culturelle » dit la pétition des « dix-neuf ». Et Philippe Joutard, qui présida à l'élaboration des calamiteux programmes de 2002, de renchérir : « Sous prétexte de retour aux fondamentaux, on privilégie la mémorisation mécanique des règles orthographiques et grammaticales, au détriment de la compréhension… De même, en mathématiques, on perd beaucoup de temps à imposer l'apprentissage mécanique d'opérations sur le papier à des élèves toujours plus jeunes, au détriment de l'objectif final, la résolution des problèmes. »

« Dimension culturelle », « compréhension », « résolution de problèmes » d'un côté, « conception mécaniste », « mémorisation et apprentissage mécaniques » de l'autre, mots valorisants contre mots discréditants : on peut sourire tant la ficelle polémique est grosse. Ce serait toutefois rendre un bien grand service aux auteurs de ces propos que s'en tenir à la dénonciation de leur logomachie et les dispenser d'avoir à répondre sur le fond. Ne leur faisons donc pas ce cadeau, et, puisqu'ils ont mis le sujet sur le tapis, parlons donc du mécanisme et plus particulièrement du mécanisme dans l'enseignement du calcul à l'école primaire. 



Vieux débat, qui nous oblige à revenir plus d'un siècle en arrière, à ce fameux « âge d'or mythique » de l'Instruction publique, comme disent les sectateurs de l'amnésie, à ces années 1900-1920 qui virent à la fois l'achèvement de l'alphabétisation de la population de la France et l'avènement, dans le même pays, d'une école mathématique (Borel, Lebesgue, Hadamard, Poincaré) considérée alors comme la première du monde.


Donc à cette époque reculée et barbare, il advint - on n'ose penser que Philippe Joutard ou Roland Charnay puissent l'ignorer - que d'aucuns s'inquiétèrent soudain du tour un peu mécanique que prenait dans les écoles l'enseignement du calcul et de l'arithmétique. Et il advint qu'un professeur à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, Jules Tannery, spécialiste d'Évariste Galois et lui-même mathématicien de renom, explique longuement, dans un article passionnant paru en 1904 dans la Revue pédagogique , en quoi la part mécanique dans l'apprentissage du calcul était non seulement inévitable mais nécessaire à l'intelligence des choses mathématiques.


Cet article constitue un excellent cours de pédagogie pratique du calcul, et il devrait être au programme des IUFM où il remplacerait plus qu'avantageusement les séquences sur la donation du sens et autres billevesées didacticiennes sur l'apprentissage du calcul par tâtonnement.
 Les quelques extraits qui suivent permettent déjà de juger du sérieux de l'argumentation des contempteurs des projets de programmes. On trouvera la version complète du texte de Jules Tannery ici >>>

Sur l'enseignement de l'arithmétique à l'école primaire, Jules Tannery, Revue pédagogique , février 1904

EXTRAITS

 «  Il y a, dans tous les enseignements, une partie mécanique et routinière qu'il faut accepter avec modestie. (…) Que l'on soutienne l'enfant ou l'apprenti par l'espoir d'un temps où la répétition de l'effort aura supprimé la difficulté, j'en suis d'avis ; mais qu'on se garde bien de lui inspirer du mépris pour ce qu'il entre de machinal dans cette répétition. Il faut que le geste soit machinal (…)

L'enseignement de l'arithmétique, dit-on, semble n'avoir plus d'autre objet que de mettre l'écolier en état d'appliquer un certain nombre de règles qu'il ne comprend pas. Il ne faudrait pas s'exagérer l'importance de la justification théorique de certaines règles ou opérations : je m'imagine que tout le monde reconnaît l'impossibilité de justifier à l'école, par un raisonnement rigoureux, la règle de la division des nombres entiers, mais que, tout en reconnaissant cette impossibilité, quelques personnes s'en affligent. Je voudrais qu'elles se consolassent entièrement. Si c'est là ces règles que l'écolier ne comprend pas, il n'y a pas lieu de s'en émouvoir, à mon avis. (…) Il ne doit pas y penser ; il doit mettre toute son attention dans l'application correcte des règles qu'il sait être vraies, et plus cette application est machinale, plus elle est sûre. Le mathématicien même emploie des outils qu'il n'a pas vérifiés et dont il ignore parfois comment ils ont été fabriqués. Ce que les enfants ont besoin de comprendre, c'est le sens de l'opération, c'est ce qu'elle permet d'obtenir. Je m'imagine qu'on leur apprend cela à l'école, et, peut-être, mieux qu'on ne fait au lycée.
 Comment arrive-t-on à faire comprendre aux écoliers le sens de chacune des quatre règles ? Je crois bien que, là-dessus, la plupart des instituteurs m'en remontreraient. (…) Ils commencent par des exemples concrets, avec des nombres très simples : j'ai sept billes dans ma poche gauche et cinq dans ma poche droite ; je prends ces cinq billes et je les mets dans ma poche gauche ; combien y a-t-il de billes dans cette poche gauche ? Des douze billes qui sont maintenant dans ma poche gauche, j'en prends cinq que je mets dans ma poche droite ; combien en restera-t-il dans ma poche gauche ? Et si je remets ces cinq billes dans cette poche gauche, combien contiendra-t-elle de billes ? Voici quatre petits tas dont chacun comprend cinq billes ; je mets toutes les billes en tas ; combien y en aura-t-il dans ce tas ? J'ai dix-neuf billes que je veux partager entre cinq enfants ; chacun reçoit trois billes, et il m'en reste quatre. Chaque opération reçoit son nom. Les exemples sont repris, multipliés, diversifiés. Les nombres sont assez simples pour que les calculs puissent se faire de tête, ou même sur des objets réels ; on demande aux enfants, pour une foule de petits problèmes, non seulement d'arriver au résultat, mais de reconnaître chacune des opérations qu'ils ont faites, de la nommer ; on passe à des cas un peu plus compliqués où il faut faire deux, trois de ces opérations ; là encore, il ne suffit pas que les enfants trouvent le résultat exact, ils doivent analyser le calcul qu'ils ont fait : d'abord une addition, puis une soustraction, etc. Sans doute tous ceux sous les yeux desquels cette page est tombée se disent : " Oui, c'est ainsi que l'on fait, à peu près, avec des exemples, ou avec d'autres... " Et comment ferait-on autrement ? Il suffit d'y penser, et d'avoir eu des enfants à qui l'on a appris à compter. Eh bien ! tout cela n'est nullement mécanique. Reconnaître les cas où il faut faire cette opération , et non cette autre, sentir ce qu'il y a de commun dans les cas où l'on fait la même opération, c'est faire acte d'intelligence, de la même intelligence qui nous sert à grouper des individus, ou des mots, ou des faits, dans une même famille, sous une même loi. Et l'enfant est capable de ces actes intellectuels, parce qu'ils se rapportent à des objets qu'il peut voir, toucher ou imaginer, et que l'effort d'attention qu'ils exigent est court.(...)

Au bout d'un certain temps, quand il juge que le moment est venu, que les écoliers ont vu et reconnu assez de faits pour comprendre un énoncé général, l'instituteur définit chacune des règles : je crois bien que l'écolier, qui comprend cette définition abstraite, y trouvera quelque joie, et qu'il se donnera volontiers la peine d'en fixer les termes dans sa mémoire. Devant des questions toutes pareilles à ces questions qu'il sait résoudre, mais où les données sont un peu plus compliquées, les nombres un peu plus grands, l'enfant sent qu'il lui manque quelque chose : cela est trop long pour qu'il s'en tire ; il n'en finirait pas de compter sur ses doigts ou avec des boules. Comment faire ? Il est tout découragé. Le maître lui dira : " Je vais vous apprendre un moyen d'aller plus vite " ; il enseignera le mécanisme de la règle. Je ne suis nullement scandalisé à l'idée que l'enfant ne se rendra pas compte du pourquoi de ce mécanisme. ( …) en arithmétique deux points importants : reconnaître quelles opérations on doit faire, c'est-à-dire, au fond, bien comprendre les définitions ; puis, savoir faire correctement ces opérations : le premier point est affaire d'intelligence, le second de routine, ou, pour parler mieux, d'habitude. Il ne faut pas mépriser cette routine-là ; le résultat est un profit très clair qu'on emporte de l'école (…) Il est beaucoup plus important de savoir les propriétés des opérations que d'être en mesure de justifier la façon dont on les effectue, et quelques-unes de ces propriétés peuvent être enseignées et démontrées à l'école : est-il difficile, par exemple, de faire comprendre à des écoliers, sur des exemples concrets, que pour multiplier un nombre par une somme, on peut multiplier ce nombre par les éléments de la somme et ajouter ensuite les produits partiels. Les propositions de ce genre, dont les unes peuvent être démontrées complètement, dont les autres seront simplement énoncées et vérifiées, sont beaucoup plus précieuses que ce qu'on appelle " la théorie de la multiplication, ou de la division "…C'est elles d'ailleurs qui mènent plus loin, puis servent, par exemple, à l'intelligence de l'algèbre, dont on peut pousser l'étude aussi loin qu'on veut, sans avoir jamais besoin de la " théorie de la division ". »

 

Pour poursuivre :

Du manichéisme intellectuel

Rudolf Bkouche

Le manichéisme rassure, c'est ce qui fait sa force. Parmi ses manifestations, nous en citerons deux qui relèvent de ce que l'on peut appeler un manichéisme intellectuel, d'une part la classique opposition "théorie vs pratique", avec les diverses variantes données aux termes "théorie" et "pratique", d'autre part l'opposition "sens vs techniques", opposition qui constitue aujourd'hui le matériau d'un débat sur l'enseignement qui, sous une apparence de cohérence, permet d'éviter la question de l'appréhension des connaissances c'est-à-dire la question même de l'enseignement.

Il faut ajouter pour comprendre la prégnance de ces oppositions que ce manichéisme intellectuel cache un manichéisme plus classique, celui de la lutte du Bien contre le Mal, encore que dans ce cas Bien et Mal peuvent s'échanger en fonction des idéologies.

Nous nous intéressons ici à l'opposition "sens vs techniques" d'abord parce c'est elle qui est avancée dans le débat actuel sur l'apprentissage, ensuite parce qu'elle s'appuie sur des confusions qui portent sur chacun des termes "sens" et "technique". Quant à l'opposition "théorie vs pratique", nous y reviendrons dans un texte ultérieur.

 

 
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